La société inclusive : de quoi parle-t-on ?

La société inclusive : de quoi parle-t-on ?
05.05.2015 Réflexion sur Temps de lecture : 5 min

Sur quels fondements une société inclusive peut-elle se bâtir ? Charles Gardou aborde le concept de société inclusive et propose 5 piliers sur lesquels une telle société peut s’appuyer…

Lorsqu’un concept paraît et se diffuse, il est, nous le savons, naturellement sujet à débat. Ni sa signification ni sa valeur ne sont gravées dans le marbre.

Il en est donc ainsi de celui de société inclusive, aux multiples déclinaisons : on parle d’éducation, d’école, et de lieux professionnels inclusifs ; on souhaite des pratiques culturelles, artistiques, sportives ou touristiques inclusives ; on désire des politiques, des législations, des structures et des dispositifs inclusifs ; on aspire à un environnement inclusif ; on espère un développement inclusif et, plus globalement, une culture inclusive.

Des progrès sans précédent, dans le domaine scientifique et technique, de la connaissance de la vie et de l’univers, ont en effet changé le visage du monde. Ils ont transformé, du moins en certains lieux de la planète, les modes de vie de ses habitants. Cependant, les inégalités s’accentuent, ici comme là-bas. Dans nos sociétés industrielles, l’homo œconomicus fait régner la loi d’airain du marché et de la compétition sans merci. Et, en dépit d’un apparent consensus contre l’exclusion, il y a stagnation. A l’encontre même de l’espoir séculaire de réduction des écarts, des îlots de commodités côtoient des océans d’empêchements. Cette dissymétrie, ou plutôt cette coupure, est l’un des faits les plus préoccupants de notre temps contradictoire.

Dans un tel paysage, sur quels fondements une société inclusive peut-elle se bâtir ? En référence à quels principes et exigences renvoyant, pour une part, aux universaux de notre condition humaine et, pour une autre, aux biens communs à répartir avec équité ?

Cinq axiomes -au sens premier de « ce qui vaut, qui est jugé digne»- constituent les piliers ou les arcs-boutants sur lesquels mérite de s’appuyer l’édifice à construire.

  • Le premier invite à distinguer le « vivre » et l’ « exister ». Je l’exprime ainsi : « Vivre sans exister est la plus cruelle des exclusions ». Le sentiment d’exister repose sur l’expression et la prise en compte des désirs, qui ne sont pas un luxe réservé́ à ceux qui n’auraient pas de besoins « spéciaux ».
  • Le suivant appelle à remettre en cause la hiérarchisation des vies. Je l’énonce de cette manière : « Il n’y a ni vie minuscule, ni vie majuscule ». Il n’existe qu’une seule humanité, dépositaire d’une condition universelle, entre un plus et un moins, un meilleur et un pire. Entre fortune et revers, résistance et fléchissement.
  • Le troisième induit un questionnement sur la notion d’équité et de liberté. Je le traduis ainsi : « Une société humaine n’est rien sans des conditions d’équité et de liberté ». Il renvoie à la problématique de la refondation de la justice sociale, de l’égalité formelle et de l’égalité réelle, des conditions de l’exercice effectif de la liberté et de l’équité.
  • Le quatrième amène à s’interroger sur la norme et la conformité. Je le formule comme suit : « L’exclusivité de la norme c’est personne, la diversité c’est tout le monde ». La visée inclusive contrecarre la centrifugeuse culturelle qui renvoie en périphérie ce dont l’existence même déconstruit les modèles et archétypes dominants.
  • Le dernier conduit à aborder la question de notre patrimoine commun. Je l’énonce de cette façon : « Nul n’a l’exclusivité du patrimoine humain et social ».

En effet, une société n’est pas un club dont des membres pourraient accaparer l’héritage social à leur profit pour en jouir de façon exclusive et justifier, afin de le maintenir, un ordre qu’ils définiraient eux-mêmes. Une société n’est pas non plus un cercle réservé à certains affiliés, qui percevraient des subsides attachés à une « normalité » conçue comme souveraine. Une société n’est pas davantage un cénacle où les uns pourraient stipuler à d’autres, venus au monde mais empêchés d’en faire pleinement partie : « Vous auriez les mêmes droits si vous étiez comme nous».

Il n’y a pas de carte de membre à acquérir, ni droit d’entrée à acquitter. Ni débiteurs, ni créanciers autorisés à mettre les plus vulnérables en coupe réglée. Ni maîtres ni esclaves. Ni centre ni périphérie. Chacun est héritier de ce que la société a de meilleur et de plus noble. Personne n’a l’apanage de prêter, de donner ou de refuser ce qui appartient à tous.

Aucune part ne peut être l’exclusive de « majoritaires », que la naissance ou le cours de la vie ont préservés du handicap, au détriment de « minoritaires », dont la destinée serait de ne recueillir que des miettes.

Notre héritage social vertical, légué par nos devanciers, et notre héritage horizontal, issu de notre temps, composent un patrimoine indivis. Chaque citoyen, de la petite enfance jusqu’au grand âge, a un droit égal à bénéficier de l’ensemble des biens sociaux.

Etre inclusif n’est donc pas faire de l’inclusion, pour corriger a posteriori les dommages des iniquités, des catégorisations et des ostracismes. C’est redéfinir et redonner sens à la vie sociale dans la maison commune, en admettant, comme ces pages tentent de le montrer, que chacun est légataire de ce que la société a de plus précieux ; que l’humanité est une infinité de configurations de vie etune mosaïque d’étrangetés ; que la fragilité et la modestie ne sont pas synonymes de petitesse ; qu’il ne suffit pas aux hommes de venir au monde et que, jusque dans leurs plus secrets replis, ils désirent se sentir exister ; que l’équité et la liberté constituent le ciment d’une communauté humaine.

Texte extrait du livre « La société inclusive, parlons-en ! Il n’y a pas de vie minuscule« , paru aux éditions Erès.

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