Confier son enfant handicapé : l’heure de la première séparation

Confier son enfant handicapé : l’heure de la première séparation
16.09.2022 L’essentiel Temps de lecture : 9 min

« Confier mon enfant handicapé, jamais de la vie ! » et pourtant, ce répit, ce bol d’air pourrait devenir un moment précieux, pour vous comme pour lui. Comment se faire à cette idée ?

A la crèche, à l’école, au centre de loisirs, avec la baby-sitter ou les grands-parents : pour certains parents d’enfant handicapé, difficile de laisser son enfant à quelqu’un d’autre. Pourquoi ? Comment gérer l’angoisse de séparation ? 

Marilou a 7 ans. Elle est autiste. Sa maman est exténuée et aimerait prendre le temps de se reposer. Mais, pour le moment, pas question de confier son enfant handicapé  à d’autres, en dépit de la fatigue et de la pression que le handicap fait peser sur son couple. Ce scénario, de nombreux parents d’enfants handicapés le connaissent ! Comment se résoudre à confier l’enfant à la famille, à un centre aéré, à l’école, lorsqu’on a le sentiment d’être le seul ou la seule à pouvoir s’en occuper et le protéger ? Parce que cette implication est sans faille, sans répit, on pense que ses soins ou ses comportements seront insurmontables par un tiers…

« J’ai toujours voulu tout faire pareil pour Vincent, porteur de trisomie 21, que pour ses deux frères. Mais je dois bien reconnaître que sa première année en crèche a été beaucoup, beaucoup plus compliquée que pour les aînés ! Pas pour lui ! C’est moi qui ai eu du mal avec la séparation.» Comme pour Florence, confier son enfant, les premières fois, que ce soit à de la famille ou à des professionnels est toujours compliqué. Mais le handicap ou la maladie d’un enfant différent peuvent rendre la tâche plus difficile encore.

Confier son enfant handicapé : D’autres sont capables de garder mon enfant aussi !

Or, les parents ne sont évidemment pas les seuls à pouvoir répondre à ces besoins particuliers, comme en témoigne Élizabeth : « Nous n’avons pas eu de formation pour assumer le handicap de notre enfant. Nous avons appris sur le tas. Il faut donc faire confiance aux autres. » D’autant que ce sont souvent des professionnels aguerris à l’accueil des enfants handicapés qui ont des besoins spécifiques.

Le secret d’une séparation réussie réside dans sa préparation. Les choses doivent se faire dans la douceur. Une conversation avec l’équipe suffit parfois à faire tomber les barrières. Puis, la visite des lieux. Ce n’est qu’au terme d’une maturation qu’on peut accepter de déléguer, pour une heure, puis deux, puis une journée entière… Comme pour tout enfant « valide » lorsqu’il entre à la crèche ou à l’école, remarque Céline Duriez, éducatrice au sein d’un jardin éducatif mixte, les Galopins, dans le Val-d’Oise : « Cette appréhension est presque systématique, et je vois parfois des parents d’enfants valides qui sont bien plus angoissés. Il y a bien sûr quelques larmes, mais cela vaut pour tous, il ne faut pas s’en inquiéter ni culpabiliser. Nous n’avons jamais connu d’échec d’intégration. » Un processus normal et rassurant, jusqu’au moment où l’on consent à laisser son enfant une nuit, puis plusieurs jours…

Pourquoi ça peut être compliqué de confier son enfant handicapé ?

On entend souvent des parents dire : « Je n’arrive pas à me séparer de mon fils ou de ma fille handicapé« . « Je distingue trois grands critères qui rendent difficile le fait de faire garder son enfant handicapé, détaille Laura Devidal : si l’enfant est très jeune (c’est d’ailleurs très « ordinaire »), si le diagnostic de son handicap est récent ou s’il s’agit d’un enfant qui est non verbal ou qui communique difficilement ». Comment savoir comment s’est passé ce temps où il a été confié, s’il ne parle pas ? « Ne pas avoir de retour de leur enfant n’aide pas les parents à se rassurer sur le fait qu’ils peuvent avoir confiance en la personne qui prend le relais en leur absence. »
Il subsiste aussi, parfois, une part de culpabilité, notamment chez les mères, qui se disent « ce devrait être à moi de veiller sur lui », d’autant que cet enfant est souvent vu, à tort ou à raison, comme plus vulnérable. En outre certains parents sont marqués par un traumatisme fort : la peur de perdre l’enfant à un moment où son état de santé était critique, par exemple.

Parfois, il n’a pas été possible de confier l’enfant handicapé à des proches, à la famille, ce qui complique encore la séparation enfants parents. « Certains grands-parents auraient très envie de s’occuper de leur petit-enfant mais pour eux, la responsabilité devient trop lourde quand il y a un aspect médical – gestes à faire, traitement à donner », explique Fanny Bert, psychothérapeute spécialisée dans le handicap à Lyon. Et ensuite, c’est le parent qui y va à reculons, face à la perspective que  « c’est trop compliqué  » : « comment expliquer à la baby-sitter que certes, mon enfant a 6 ans mais qu’il faut le surveiller en permanence parce qu’il se comporte plutôt comme s’il en avait 3 ? »

Un an pour faire confiance aux professionnels

Agathe Saunier, coordonnatrice chez Loisirs Pluriel (fédération d’associations et centres de loisirs), rapporte le cas de Théo, 10 ans, polyhandicapé, qui ne communiquait que par le regard. « Sa maman était terriblement inquiète, notamment à cause de sa gastrostomie. Elle souhaitait rester présente et avait du mal à nous accorder sa confiance. Elle n’a pu lâcher prise qu’au bout d’un an. Depuis, elle est soulagée, car, en s’accordant des moments à elle, elle a enfin le sentiment d’être une maman comme les autres. » En dépit des réticences initiales, la plupart des parents, en effet, confient ressentir un immense soulagement. Après des années de dévouement, leur vie personnelle et intime a parfois volé en éclats ; ils peuvent enfin s’offrir une bouffée d’oxygène.

Confier son enfant handicapé : Le répit des aidants

On appelle ce moment nécessaire le « répit des aidants ». Et Céline Duriez de confirmer que les mamans « ne doivent pas penser qu’elles sont de mauvaises mères ni culpabiliser pour autant ». Un bol d’air aussi pour la fratrie… Marine a fait ce choix : maman d’une fillette autiste, elle la confie à sa mère une semaine par an et part en voyage avec ses trois autres filles. « J’ai mis des années avant d’accepter cette idée, mais il le fallait vraiment pour nous toutes. Je peux enfin dormir de vraies nuits. Lorsque je reviens, j’ai du bonheur à retrouver ma fille. Une manière de rompre le ressentiment qui, en dépit de l’amour, s’installe insidieusement. »

Comment faire pour confier son enfant handicapé plus sereinement ?

Allez-y progressivement. Comme à la crèche ou chez la nounou, où une période d’adaptation est toujours imposée, chaque séparation peut être faite au fur et à mesure, « y compris quand l’enfant, devenu jeune adulte, quitte le foyer parental pour aller vivre en autonomie ou même en établissement pour adultes handicapés », souligne la psychologue Fanny Bert.

Demandez des détails. « Ce qui a fini par me rassurer à la crèche, c’étaient les transmissions très précises que me faisaient les auxiliaires de puériculture », raconte Florence, la maman de Vincent. Elles y passaient, je crois un peu plus de temps, qu’avec les autres parents mais cela m’était nécessaire. » Du côté des professionnels ou de la famille qui se voit confier l’enfant, il est utile en effet d’en « faire un peu plus » pour rassurer le parent.

Être joignable, donner des comptes-rendus détaillés des journées, surtout si l’enfant n’a pas de communication verbale, aide les parents à être sereins. « Nous pensons aussi à l’envoi de sms dans la journée, mettons en place un cahier de liaison, proposons des temps de garde en présence d’un des parents… une communication régulière et en transparence est le facteur le plus important dans la réussite du projet », détaille Laura Devidal à propos du service de garde à domicile pour lequel elle travaille.

Une séparation bénéfique pour tous

Confier son enfant handicapé : Pour l’enfant, cette première séparation peut devenir une étape importante, parfois précieuse. Évidemment, cela suppose de ne pas lui montrer que l’on redoute son absence, sous peine de lui transmettre nos propres craintes. Lui dire qu’il va nous manquer, sur un ton enjoué et léger. « Certains parents sont surpris de voir à quelle vitesse leur enfant s’acclimate au nouvel environnement, à ses nouveaux camarades», note Céline Duriez. L’occasion de vivre d’autres expériences, en dehors du cocon familial. Accepter de franchir ce cap, c’est entrer dans une démarche positive. Mais il convient de le décider au moment opportun, sans que ce désir, souvent ambivalent, devienne un acharnement. Ne pas céder aux influences de l’entourage qui, par souci de bien faire, insiste parfois jusqu’à vous braquer : « Il faut te reposer, pense à toi ! » Se dire que cela viendra, comme une évidence, peut-être lorsque l’enfant sera plus grand et les parents vraiment consentants. Cela n’empêche pas de se renseigner en amont, de rechercher une association dédiée pour prendre ses marques, et de mûrir la réflexion, sans fermer aucune porte. L’idée fera son chemin, étape par étape…

Comment supporter la séparation ?

Il est très difficile de se forcer, et ce peut être l’étape de trop. Mais, insiste Fanny Bert, il n’est pas forcément bon de repousser ce moment le plus longtemps possible. « C’est un peu comme une phobie : plus vous évitez ce dont vous avez peur, plus l’angoisse sera forte le jour où vous y serez confronté. Et la séparation arrivera forcément, tôt ou tard – l’enfant grandit ! – donc autant s’y préparer.». En revanche, il faut s’autoriser à le faire de manière douce, en respectant certes le rythme de l’enfant… mais le vôtre aussi !

Avis d’expert

Maudy Piot, psychanalyste, présidente de l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir « Le sentiment d’être amputé de soi-même »

« Pour certains parents, le projet de séparation ravive le souvenir d’une séparation après une naissance difficile ou un grave accident. Ils sont saisis par l’angoisse à l’idée qu’on leur enlève à nouveau leur enfant. C’est évidemment inconscient ! On pense alors ne pouvoir sauver son enfant qu’en l’ayant constamment sous les yeux. Aider ces parents, c’est leur laisser le temps de grandir, de mûrir et d’apprivoiser cette difficulté. Bien des mamans se sentent amputées d’elles-mêmes lorsqu’elles sont loin de leur enfant. Pour en sortir, il faut vraiment que le couple puisse en parler, échanger en impliquant par la suite la fratrie, mais aussi l’enfant, qui ne doit pas être tenu à l’écart de ce projet. Si cette étape demeure malgré tout trop douloureuse, l’aide d’un psychologue peut s’avérer utile. Cela dépend vraiment du handicap, mais une première séparation se prépare, se mûrit, se travaille et se discute. »

Auteurs  : Vincent Huchon ; Caroline Boudet

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