L’équitation bienveillante

L’équitation bienveillante
31.12.2012 Expériences et initiatives Temps de lecture : 7 min

Il n’a jamais été autant question des bienfaits de l’équitation pour les personnes en situation de handicap. Que celui-ci soit mental, moteur, sensoriel ou social, chacun y trouve son compte, chacun en redemande. Oui mais dans quelles conditions ? Sous quelle forme et avec qui ?

Le sujet fait débat, la pratique fait des émules et à l’heure où l’équitation après des efforts de démocratisation semble de nouveau ne plus pouvoir s’adresser qu’à une élite, il n’a jamais été autant question des bienfaits de son apport pour les personnes en situation de handicap.

Partisane de la primauté de l’expérience sur le discours, je parlerai ici en mon nom et en ma qualité d’enseignante d’équitation spécialisée dans le handicap (Brevet Fédéral d’Encadrement EquiHandi). A cet effet j’accueille des personnes dont le handicap ne permet pas l’intégration à des reprises dites « classiques »; mon rôle est donc de prendre en considération leurs difficultés mais aussi leurs possibilités et de faire en sorte que l’activité autour des chevaux soit rendue possible et positive.

Lundi après-midi, 14 heures. Comme tous les lundis à cette heure (la régularité est d’importance) je retrouve Fanny, Thibault et Amélie pour une séance avec les poneys. Ces trois enfants sont diagnostiqués autistes, ils n’ont quasi pas de mots à leur vocabulaire et sont à la semaine dans un IME (Institut Médico-Educatif); deux de leurs éducatrices les accompagnent.

Le rituel est déjà bien installé et après le « Bonjour » d’accueil nous nous rendons au petit manège circulaire dans lequel Boule, Pipo et  Mirabelle nous attendent. Tout le matériel est là: la boite de pansage, les bombes, les tapis, les selles, et le matériel pédagogique que j’ai pris soin d’installer en amont (cette préparation me demande facilement vingt minutes avant chaque séance).

Ce lieu rond, fermé mais pas trop, sera notre espace à nous seuls le temps de la séance. Ici je suis sûre que personne ne viendra nous déranger, je suis sûre également qu’aucun enfant ne prendra la poudre d’escampette et n’ira se mettre en danger à l’extérieur.

Fanny se dirige de suite vers Pipo; elle est sortie de son fauteuil et se plante devant lui, le visage à cinq centimètres à peine de sa grosse tête poilue. Ils resteront ainsi tous les deux facilement un quart d’heure, dans une communication totale qui nous échappe !

Amélie, quant à elle, a entrepris de promener Boule; dans ces moments-là, ses stéréotypies cessent et elle qui, d’ordinaire, est peu enclin à se bouger, arpente hardiment le manège, le fameux Boule au bout de sa longe ! Thibault va chercher l’escabeau et s’approche de Mirabelle; il veut monter ! Cela fait partie de nos codes: mettre une bombe et prendre l’escabeau signifie « je veux monter sur le dos du poney » mais je lui rappelle qu’il faut d’abord brosser son poney; tel est l’ordre des choses. Alors Thibault va chercher une brosse dans la caisse mise à disposition.

Tour à tour je travaille avec chaque enfant; les éducatrices sont très présentes: tantôt observatrices, tantôt à aider l’un ou l’autre dans sa tâche, ou à le re-concentrer sur la séance. Et nous ne sommes pas trop de trois paires d’yeux pour observer tout ce qui se déroule dans notre microcosme !

Après le pansage, Thibault se mettra en selle et nous travaillerons sur  le fondamental « Avancer »: du pas à l’arrêt, de l’arrêt au pas, du pas au trot, etc … Fanny, elle, restera longtemps immobile une fois son poney enfourché; elle a besoin de se rassurer, de trouver son équilibre; déjà, être assise, là, en hauteur, c’est beaucoup pour elle. Puis nous faisons quelques pas, d’abord avec une éducatrice à ses côtés puis seule, en tenant la poignée de sa selle. Amélie préfère rester à pied aux côtés de Boule; la suite démontrera qu’il lui faudra quatre séances à se promener ainsi avec son poney avant de se mettre dessus.

Chacun son rythme, chacun sa façon de faire mais surtout chacun sa façon d’être. Adapter sa séance c’est donc se donner les moyens de respecter tout cela, pour le bien-être et l’épanouissement de tous.

Alors, thérapie ? Éducation ? Loisir ou rééducation ?

Le cheval c’est tout cela à la fois; c’est même la magie de tout cela à la fois !

Mais pourquoi ? Parce que justement ce qui est thérapeutique dans cette histoire c’est la relation elle-même que la personne va tisser avec son cheval, et ce qui naîtra de cette relation. En tant que référente équestre, je  ne suis pas thérapeute. Je suis là pour poser un cadre, confortable et sécuritaire pour tous (: pour la personne venant pratiquer, pour le cheval, pour les encadrants et pour moi-même) et à partir de ce cadre, la séance peut se dérouler. Il  y a autant de place laissée au prévisible (le lieu de la séance, le matériel pédagogique, le choix du cheval, les exercices mis en place…) qu’à l’imprévu. Et c’est là qu’il faudra être vigilant; d’une vigilance bienveillante, d’une présence neutre. Certes je reste le chef d’orchestre d’un cheval à mon écoute, d’un cavalier que l’on m’a confié et d’une situation pédagogique que j’ai choisie, mais la musique qui s’y joue ne m’appartient pas. C’est là que le don d’observation est primordial. Apprendre à voir. Sans juger, sans interpréter. Juste observer, même quand il semble ne rien se passer… car il ne se passe jamais rien dans une séance où se rencontrent une personne et un cheval !

Je ne suis pas thérapeute; mais je peux travailler en partenariat avec des thérapeutes, avec des psychomotriciens, avec des éducateurs… Notre force, et même notre moteur, sont dans cette coopération. Ensemble, les encadrants -ou la famille- et moi-même définissons les objectifs des séances: tel enfant viendra travailler son autonomie, tel autre son équilibre, sa motricité fine, … mais dès lors il ne faudra jamais perdre de vue que le plaisir reste et devra rester inhérent au séances; et si aujourd’hui la seule chose qui devait se passer serait la simple rencontre d’une personne avec son cheval alors ce serait déjà énorme. Les personnes en situation de handicap sont bien souvent sollicitées de partout, j’ai vu de jeunes enfants avec des plannings journaliers de ministre, les rendez-vous s’enchainent …

Or je doute qu’un cavalier lambda qui vient à sa reprise de 18 heures le mercredi soir ne vienne que pour travailler ses problèmes de latéralisation, d’orientation dans l’espace ou de confiance en soi ? Certes non, il vient avant tout passer un moment privilégié avec un être affectueux, chaleureux, symboliquement puissant, qui ne le juge pas et, qui plus est, peut le porter et le faire mouvoir à des vitesses variées … C’est donc exactement la même chose pour un cavalier en situation de handicap.

Alors, à l’heure où l’on voudrait étiqueter cette pratique, je dis simplement: donnons-nous la main, restons des Hommes de chevaux, restons des professionnels de la santé ou du social, et donnons-nous les moyens de proposer ensemble le cadre le plus bienveillant possible pour que les personnes en situation de handicap qui souhaitent pratiquer l’équitation se sentent accueillies pour ce qu’elles sont et pour le plaisir que cette activité leur procure.

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