Jessica L. nous présente les duos potentiels : une activité partagée par des personnes en situation de handicap et leurs accompagnants
Mon profil
Je suis médecin généraliste en crèche et dans une association auprès d’enfants et d’adultes en situation d’handicap. Et je suis danseuse, j’obtiens en 2016 le diplôme d’état en danse contemporaine. Mon projet est d’amener la pratique artistique de la danse et d’en assumer son rôle social.
L’origine du projet
Cela débute en 2011. Ma thèse de doctorat s’intéressait à des ateliers de danse proposés à des personnes atteintes de troubles cognitifs et à un proche. Inclure l’aidant proche dans cette démarche est déterminant et permet d’expérimenter à deux des situations qu’ils ont moins l’occasion de vivre à cause de la maladie. Ceci est un bénéfice à prendre en compte lorsqu’on connaît le risque d’isolement, d’épuisement, de dévalorisation, de stigmatisation des proches ou de la personne atteinte.
Stimuler le corps par la danse permet d’aborder le quotidien des personnes de manière créative, ludique, plaisante et construite. Ceci fait notamment appel à une mémoire corporelle, à un travail de posture – de gestes et de sensations qui n’est pas stimulé de la même manière dans les rééducations et les apprentissages.
Tout cela pour maintenir un terrain propice à la communication et donc à l’autonomie.
Ici, l’un comme l’autre peut compter sur moi durant toute l’activité et ensemble on dénoue une situation, on se rassure, on prend des risques…
L’apport de la danse
La personne handicapée et son accompagnant sont à l’honneur car je les considère comme un véritable duos de danseurs au potentiel méconnu à l’instar de Fred Astaire et Ginger Rogers mais ce pourrait être les Twins danseurs hip hop, ou les Nicholas Brothers claquettistes. On est sur l’expression de soi, la danse contemporaine permet de partir d’une posture pour s’abandonner au mouvement corporel. C’est s’exprimer sans les mots, découvrir un langage du corps propre à chacun. Cette activité permet à tous et toutes d’avoir un autre contact, une autre confiance et un autre rapport avec soi, et de proche en proche avec la maladie, avec l’aidé, avec les soignants, les encadrants et les autres accompagnants. Les thèmes sont variés. J’aimerais aussi les amener à tester leur sensibilité artistique. Nous écoutons tous les genres musicaux, des opéras baroques à la musique minimale. Découvrir s’ils préfèrent les œuvres très expressives ou la poésie…
Pour moi, la présence de l’aidant est indispensable puisque j’ai pensé ces ateliers pour deux personnes.
Les ateliers
Ceux-ci ont lieu une fois par mois, le samedi, dans l’un des studios de danse du 188 – plateforme culturelle située dans un quartier de Lille dynamique et facile d’accès.
J’accueille enfants et adultes (sur des temps séparés). Dans un même groupe, on rencontre une personne atteinte de troubles psycho-moteurs et une autre de cécité totale, des soeurs, des enfants et leurs parents, des éducateurs, des conjoints…Le décloisonnement au sein même du public en situation de handicap me paraît logique voire essentiel. Mais cela montre que ce que l’on travaille est commun à tous.
Sur le long terme, j’aimerais ouvrir ces ateliers à tous et toutes, personne avec ou sans handicap.
C’est cette idée de « duos » que je mets en avant car je crois qu’une activité partagée permet d’aller plus loin dans l’exploration, dans la compréhension, dans l’acquisition et la consolidation des connaissances ou des sensations, ici en l’occurence, corporelles.
Des projets avec un musée de la Métropole et est en cours actuellement… avec des associations locales, des propositions pour les enfants durant les vacances scolaires sont en cours.
En image
Si je devais vous illustrer l’atelier avec un exemple, je peux prendre celui de la courte vidéo ci-dessous que je vous invite à regarder :
https://www.facebook.com/lesduospotentiels/?ref=bookmarks
Ici, rien est explicite, ni indication de lieu ni de temps. C’est un extrait d’atelier où l’on assiste à un moment précieux entre les 2 danseuses : une prise de parole respectueuse par la danse sachant qu’il existe – hors champ – un temps où l’autre est en train d’observer et écouter ce que l’autre exprime en dansant. La thématique était « laisser une trace ».
Expérience
Il y a un travail de recherche et de préparation inhérent à chaque atelier et une réflexion est nécessaire après chaque séance.
Prenons l’exemple d’un jeune garçon porteur d’un syndrome d’Asperger, déscolarisé, et de son accompagnante. Nous avons travaillé quelque chose d’inhabituel et en même temps très sollicité quand on s’intéresse à l’enfance : la peau. La peau et ses éruptions, la peau comme barrière, la peau comme enveloppe, la peau comme toucher… On a stimulé la peau tout en s’échauffant, puis des expériences sensorielles, toujours en mouvement, avec des pauses ludiques toujours en rapport avec le thème, en musique ou en silence… Pour finalement créer une façon à soi d’appréhender l’environnement et de s’y déplacer en dansant, de manière autonome.
Ce garçon n’a pas décroché, il a suivi le fil de la séance de manière libre durant 1H30, alors qu’il semblait mener des activités d’une durée maximale de 30 à 45 minutes. Aussi ce n’est pas facile de lâcher le rôle d’aidante, mais l’accompagnante y est arrivée à la fin.
Comme l’idée n’est pas de bien accomplir une tâche mais de l’accomplir ensemble, j’étais très heureuse que ça fonctionne, lui et son accompagnante aussi. Les Duos Potentiels, ce sont des petites réussites comme ça.
Jessica Leborgne
